Récit de quelqu'un
Bien des jours avant de voir la mer, elle était
une odeur,
une sueur salée, chacun imaginait sa forme.
Est-elle une demi-lune couchée, est-elle comme
un tapis de prière,
est-elle comme les cheveux de ma mère ?
Qu'était-elle en fait ? Un ourlet roulotté au bout
de l'Afrique,
les yeux picotés de petits miroirs, larmes
d'accueil.
Nous buvons sur la plage le thé des Berbères,
nous faisons cuire des œufs volés aux oiseaux
blancs.
Des pêcheurs nous offrent des poissons lumineux,
nous suçons la pulpe de squelettes d'arêtes
transparentes.
L'ancien près du feu discute avec les marchands
le prix pour monter sur la mer de personne.
*
Ils se contentent même de rien
ils dorment dans les tempêtes le pouce à la
bouche pour dîner.
Ils brillent de sueur plus acharnés que nous,
ce sont des buissons d'épines, la mort ne
s'approche pas.
Au plus profond du sommeil qui les terrasse
dans nos bras
cogne à grand bruit leur cœur d'antilope en
fuite.
Puis ils rouvrent les yeux désaltérés, repus,
repartent explorer dans l'enclos les passages
pour sortir.
Ils se glissent entre les pieds des gardiens,
se mêlent à la boue de la cour.
Ils reviennent avec un cadeau pour leurs mères
avec le trésor d'un bonbon.
Ce sont eux qui nous défendent,
c'est le fruit qui protège l'arbre.
*
Chœur
De toute distance nous arriverons, à millions
de pas
ceux qui vont à pied ne peuvent être arrêtés.
De nos flancs naît votre nouveau monde,
elle est nôtre la rupture des eaux, la montée
du lait.
Vous êtes le cou de la planète, la tête coiffée,
le nez délicat, sommet de sable de l'humanité.
Nous sommes les pieds en marche pour
vous rejoindre,
nous soutiendrons votre corps, tout frais
de nos forces.
Nous déblaierons la neige, nous lisserons les prés,
nous battrons les tapis
nous sommes les pieds et nous connaissons le sol
pas à pas.
L'un de nous a dit au nom de tous :
''D'accord, je meurs, mais dans trois jours je
ressuscite et je reviens.''
Aller simple
(traduit de l'italien par Danièle Valin,
Gallimard 2008)