Corde de lumière
Deux gouttes
Les forêts brûlaient -
et eux
se nouaient les bras au cou
comme des bouquets de roses
les gens couraient aux abris -
il disait des cheveux de sa femme
qu'on pouvait s'y cacher
une couverture pour deux
ils chuchotaient des mots sans honte
litanie des amoureux
Quand tout allait très mal
ils plongeaient dans les yeux en face
avant de les serrer fort
très fort pour ne pas sentir le feu
qui déjà léchait les cils
jusqu'au bout courageux
jusqu'au bout fidèles
jusqu'au bout semblables
comme deux gouttes
arrêtées au bord du visage
*
Le tabouret
On ne peut cacher plus longtemps cet amour :
un petit quadrupède aux pattes de chêne
à la peau rugueuse et si fraîche
objet quotidien dénué d’yeux mais doté de
visage
où les rides des rainures marquent un
jugement mûr.
Petit âne gris, le plus patient des ânes
il a perdu son pelage suite à de trop longs
jeûnes.
En le caressant le matin je ne sens sous la
main
qu’une touffe de copeaux de bois.
— Tu sais mon chéri, il y avait des charlatans
pour dire
que la main ment, l’oeil ment
au contact des formes qui ne sont que vide —
C’étaient des gens mauvais, envieux des choses
ils voulaient prendre le monde à l’hameçon des
réfutations.
Comment te dire ma gratitude, mon admiration
tu réponds toujours à l’appel des yeux.
Par ta grande immobilité, tu signifies
à la pauvre raison : nous sommes réels —
la fidélité des choses nous ouvre les yeux
à la fin.
*
Ma grand-mère
Ma très sainte grand-mère
Dans sa longue robe ajustée
Fermée
Par un nombre infini
De boutons
Comme une orchidée
Un archipel
Une constellation
Je suis sur ses genoux
Et elle me raconte L'univers
Du vendredi au dimanche
Plongé dans l'écoute
Je sais tout -
-Tout d'elle
Elle ne me livre pourtant pas ses origines
Ma grand-mère Maria née Balaban Maria
l'Eprouvée
Elle ne dit rien
Du massacre de l'Arménie
Du massacre turc
Elle veut m'épargner
Quelques années d'illusion
Elle sait que j'y parviendrai
Que je connaîtrai moi-même
Sans mots pour conjurer et sans larmes
La rugueuse surface
Et le fond
Du verbe